Le soleil daigne enfin apparaitre, nous sillonnons les jolies routes de l’Eure, un département où l’on trouvait des 600 à foison dans les années 60. Nous arrivons chez M. L., un des plus grand collectionneurs de 600 d’Europe. Une Pullman rutilante, la version longue, nous attend. Il s’agit d’un millésime 1969, en version 4 portes, équipé d’une séparation chauffeur, de sièges arrière en vis-à-vis et d’un toit ouvrant arrière. Rarissime car produite à seulement 428 exemplaires en 18 ans, soit 2 exemplaires par mois, la Pullman est une véritable prouesse technologique associée à une qualité de construction jamais égalée depuis.
Outre l’équipement hydraulique courant, elle est équipée d’un bar et d’un ensemble radio Becker avant/arrière. A noter aussi une climatisation complète, comprenant un plancher réfrigéré (!) pour les passagers avant, un faisceau en laiton aileté se cachant sous les moquettes. Son premier propriétaire était Mercedes Benz pour le compte de l'Etat Allemand, elle a servi à transporter nombre de dignitaires après avoir été présentée au Salon de Francfort cette même année.
Notre chauffeur gare la Maybach le long de la 600. Elles sont finalement très proches en dimensions, mais la 600 a l’air plus fine, plus élancée. Je m’installe à bord. Je suis immédiatement frappé par la luminosité de l’habitacle, dû à la finesse des montants de toits, qui autorisent une très bonne visibilité. Evidement, impossible de se dissimuler à la foule, a moins de tirer les rideaux de velours gris, ce qui permet de s’isoler un peu.
La 600 devant séduire 2 types de clientèle très distinctes, sa banquette arrière offre le choix d’inclinaisons du dossier, qui correspondent grosso modo à 2 personnalités bien distinctes. Première position : le « dignitaire », ou l’homme d’état. Vous êtes assis bien droit, les jambes ramenées contre la banquette, le dos soutenu par les ressorts, les sangles et le crin de la sellerie. Votre regard est dur, impassible, votre attitude impériale.
Deuxième position : la « pop star » ou John Lennon. Vous êtes allongé, voire carrément avachi, une haute dose de substances illégales diverse mélangées à du Scotch en grande quantité vous empêchant de relever la tête, votre regard dissimulé par des lunettes de soleil. Bref, vous êtes dans le meilleur état possible pour votre prochain concert. Bien entendu, toutes les positions intermédiaires sont possibles, d’autant plus si la nuit est avancée. Car la 600 sait s’adapter à toutes les situations, même les plus incongrues…
L’heureux propriétaire de cette flotte de 600 me sert de chauffeur. Nous quittons le garage où nous nous sommes donnés rendez vous, la 600 roule doucement sur une chaussée très abimée, où l’on aperçoit même des nids de poule dus au gel de l’hiver. Elle semble flotter au dessus des bosses, sans les transmettre au châssis. Je ressens bien quelques mouvements de caisse, mais pas de chocs ou de cognements. De plus, aucun élément de l’habitacle n’émet de couinement ou de bruit de frottement, le silence est total. Cela est dû à un montage particulièrement soigné, chaque pièce étant isolée par une gaine de feutre ou de cuir, avant d'être visée.
Nous arrivons à un stop, il freine doucement, puis s’engage sur la nationale. Il démarre en trombe, l’accélération me surprend, mais la carrosserie ne tangue pas, sa suspension pneumatique régulant les mouvements de caisse. Une estafette lambine sur la droite, la voie de gauche est libre, pied au plancher ! Heureusement que je ne puis apercevoir le compteur de vitesse de l’arrière, contrairement à la Maybach.
Je baisse la glace de séparation afin de mieux profiter du bruit du moteur, mais on ne l’entend guère. Seuls quelques bruits de roulement viennent troubler ma quiétude. J’actionne un bouton à ma droite, dont le pictogramme me fait penser à un feuilletage. L’habitacle est brusquement inondé de soleil et d’air frais. Notre Pullman dispose d’une option très rare sur la production actuelle : un toit ouvrant arrière, à commande hydraulique. De dimensions impressionnantes, à peu près 3 fois celui d’une berline moyenne, il coulisse de plus vers l’avant et non pas vers l’arrière, ce qui crée un effet inhabituel. Le soleil et l'air frais s'engouffrent dans le compartiment arrière. Il ne me manque plus qu’a me lever et à passer le haut du corps par l’ouverture pour profiter du beau temps, ou pour saluer la foule qui n’aura pas manqué de venir se masser sur les bas-côtés de la route. Je regarde par la fenêtre : personne ! Il fait peut-être trop froid… Il faudra revenir au printemps et songer à faire appeler le préfet.