La position du levier de vitesses, contre la portière, est inhabituel sur une GT à conduite à droite, mais il l'on s'y fait. L'embrayage présente à la fois une course très réduite, et une fermeté rendant le dosage très difficile. Les verrouillages de la boite ZF à 5 rapports sont francs, pour ne pas dire durs, sans être un exemple de précision pour autant. Il suffit d'un peu de poigne...
La suspension est ferme, mais pas cassante, et la GT40 semble taillée pour les plus hautes vitesses, tant sa stabilité la rend imperturbable.
Au feu rouge, difficile de passer inaperçu : entre la couleur rouge agrémentée de ses bandes blanches, sa hauteur d’un mètre à peine et le vacarme de ses échappement, elle éclipserait la plus extravagante des berlinettes italiennes.
Je m’amuse en donnant quelques petits coups de gaz : maintenant, même les passants qui se trouvaient à 50 mètres me dévisagent : certains n’apprécient visiblement pas mon côté mélomane. Le feu passe au vert. Surtout, ne pas caler… 2 000 tours devraient suffire… dans un crissement de protestation des pneus, la GT 40 décolle. Quel couple, j’aurai pu démarrer en troisième ou même en quatrième.
D'un grondement brutal, la GT40 se propulse en avant avec férocité, prête a avaler les petites autos qui la précèdent. Heureusement, elles se rangent sagement sur le coté pour me laisser le passage, la mine terrorisée. Seconde, troisième, un coup d’œil au compteur.
Mon passager commence à se plaindre de la chaleur intense qui règne dans l’habitacle, les plexis faisant office de vitrages latéraux ne s’ouvrant presque pas. Il a beau me parler, je n’entends rien, malgré le fait que sa tête n’est qu’a 20 centimètres de mon oreille. Car outre le bruit, il doit composer avec un espace aux jambes inexistant, une garde au toit réduite et une largeur habitable ridicule. Sans parler des odeurs d’huile chaude et surtout d’essence, qui nous montent à la tête.
Je lui fais signe que je n’ai rien compris et j’accélère de plus belle. A quelques pouces de notre dos, le moteur hurle à pleins poumons. Le bruit n’a pas grand chose à voir avec le cri strident d’un V12 italien. Le V8 joue dans un autre registre, plus bas, plus profond. Pour parodier un scénariste connu, c’est du brutal, du rauque, du violent.
Et la poussée est bien là, et ce, dès les plus bas régimes, le couple étant environ deux fois supérieur à celui d’un V12 de Maranello contemporain. Comme le disent si bien les américains, « there’s no substitute for cubic inches » , autrement dit, rien ne vaut une bonne grosse cylindrée.
Une courbe rapide se présente à moi, je ralentis à peine, et je me jette à l’eau : tout se passe bien, la direction n’est pas trop lourde, et plutôt précise. En sortie de virage, pas besoin de rétrograder, tout comme avec une bonne boite automatique : le couple fait tout, jusqu’à venir à la limite de l’adhérence des gros boudins de 15 pouces. Je redresse et j’accélère à nouveau, à fond cette fois : en une fraction de seconde, j’ai transformé cette paisible route de banlieue en piste de course d’endurance. Tout y est : le bruit, la chaleur, le paysage qui défile à grande vitesse… Tout cela n’est pas très raisonnable… ni légal... mais si bon !
Nous nous approchons de la ville, je double 1 semi-remorque sans aucun effort, et je viens sagement me ranger dans la file de droite, comme si de rien n’était. Mon passager tapote de son index la jauge à essence : l’aiguille penche du mauvais côté, il va falloir arrêter. D’ailleurs quelques kilomètres plus loin, le gros V8 commence déjà à hoqueter, la gourmandise étant son seul défaut (50 litres aux cent ?).
Dommage, j’aurais bien continué ainsi jusqu’à Mulsanne.
Charles Paxson
V12 GT
L’émotion automobile
Photographe : Ghislain Balemboy