Le photographe s’impatiente, nous devons partir. Le siège conducteur se règle aisément, et son capitonnage généreux, aux antipodes de l’austérité des baquets d’une 356 Speedster, augure d’un confort de grand tourisme. Les 6 cylindres s’ébrouent sans caprice, et se stabilisent à un régime plutôt élevé et assez sonore. La ligne d’échappement inox, sans doute.
La direction est plutôt lourde, et le rayon de braquage conséquent rapporté à la longueur de la carrosserie ne facilite pas les manœuvres. Heureusement, l’embrayage n’est pas trop brutal, et la première s’enclenche facilement, du moins, à l’arrêt, car elle n’est pas synchronisée.
Je passe la seconde dès 4 500 tours, un régime bien suffisant vu son âge respectable, le couple fournissant l’essentiel de l’accélération. Les performances ne sont pas impressionnantes, une impression de souplesse à l’anglaise domine, très Jaguar, mais avec moins de coffre.
Une splendide ligne droite se profile, je pousse la troisième à fond. Le moteur se réveille, et prend des tours avec plus d’enthousiasme, le tout dans un grondement évocateur de la ligne droite des Hunaudières, ce qui surprend vu la modestie de la cylindrée.
Mais la mollesse de ses freins et le roulis impressionnant dont elle me gratifie à chaque virage ne m’incitent pas à attaquer outre-mesure. J’ai l’impression curieuse de conduire une auto d’avant-guerre, recarrossée après guerre. Cela est probablement dû au contraste entre la mécanique, dont le poids et les jantes de 16 pouces alourdissent la conduite, et la carrosserie, plutôt compacte et légère grâce à l’emploi de l’aluminium. La seule touche de modernité vient finalement de la boite, dont les rapports passent rapidement et sans effort, le petit levier se maniant sans réfléchir. Rien à voir avec la concentration dont on doit faire preuve sur une XK contemporaine. Il faut dire que David Brown était un des grands spécialistes des engrenages, et cette excellente boite continuera à équiper les modèles de la marque jusqu’à la DB4, dans les années 60.
Je finis par lever le pied et entamer une conversation avec mon passager. Le compte tours ondule tranquillement aux alentours de 2 000 tours, la suspension efface correctement les cahots, le 6 cylindres ronfle tranquillement sous le capot. Les aiguilles des compteurs Smith n’indiquent rien d’anormal. L’habitacle est spacieux, malgré les dimensions compactes du châssis.
Je double une camionnette sans rétrograder, le couple s’avérant largement suffisant. Les remous d’air s’accroissent, mais sans excès. Installé confortablement dans mon siège (fauteuil serait un terme plus adéquat) garni de cuir pleine fleur, je savoure l’instant présent : le soleil illumine la campagne, les vignes s’étendent à perte de vue, l’air me caresse le visage.
Cela doit être cela le « grand tourisme » à l’anglaise : traverser le « Continent » d’une traite, afin de rejoindre la Côte d’Azur au plus vite, tout en profitant des paysages et de la gastronomie française, sans oublier les vins, bien sur…
Charles Paxson
V12 GT
L'émotion automobile
Photographe : Ghislain Balemboy