Mon périple débute au petit matin dans un quartier huppé de Berlin. Je m’immisce dans cette flamboyante Speed Convertible, à laquelle cette teinte St James Red va si bien. La sensation est étrange. J’ai l’impression de pénétrer par effraction dans le boudoir cossu d’une maison bourgeoise.
Non pas que je ne m’y sente à mon aise. Mais tout semble aménagé avec soin par un individu ayant à la fois plus de goût et de talent que moi.
Après avoir décapoté pour profiter d’un soleil timide, je traverse la ville et je profite des multiples feux rouges pour me stupéfier du soin apporté à l’habitacle. A titre d’exemple, les glissières des sièges sont parachevées par de jolis butoirs en aluminium brossé. Le soyeux cendrier forgé dans le même métal est sculptural mais doit peser plusieurs kilos...
La mixtion entre un cuir noir de grande qualité, des surpiqûres rouges, une moquette épaisse, l’aluminium et le chrome est on ne peut plus séduisante. Les outrages du luxe sont escamotés, autant que la surenchère de la sportivité. Homogénéité et harmonie, dans les moindres détails, jusque là où personne n’irait poser les yeux.
Berlin est maintenant dans mon dos. Les 625 canassons hennissent d’impatience. L’autobahn déroule son tapis de liberté. Le chronographe Breitling a à peine effectué quelques battements et je suis déjà en bande de gauche, transformant la berme centrale en un ruban gris et vert.
160 km/h, chevaux au vent. Une paisible vitesse de croisière, rien de plus. Au-delà, je vous avouerai que l’air frais vient à bout du chauffage de nuque autant que de celui des sièges. Et qui plus est les tourbillons du vent sont rapidement soulants. Vous me direz, à 220 km/h, rouler décapoté n’a plus grand intérêt…
Subitement, des gouttes grosses comme le poing s’écrasent sur le capot. Je violente les disques en carbone. Ils se vengent sur mes cervicales et stoppent la Bentley en quelques mètres. Une poignée de secondes plus tard, la transmission intégrale fait fuir l’eau qui ruissèle sur la chaussée. Je cruise à nouveau 200 km/h.
En quittant l’autoroute, la Speed me fait découvrir une nouvelle facette de Bentley. Les dynamiciens britanniques ont bien œuvré et la Speed Six de 1929 peut être fière de sa descendance.
La direction, tout en restant onctueuse, gagne en précision, en gestion de l’effort et permet une conduite rapide et sûre. La merveilleuse boîte de vitesses à huit rapports rythme les accélérations, et ponctue chaque changement de rapport d’un délicieux borborygme, en particulier en mode Sport. J’en abuse, d’autant que les longues palettes situées derrière le volant incitent au jeu.
A la volée, j’égrène les rapports, je survole les camions avant de rétrograder, de quatre rapports à la fois, en profitant de toute la puissance du carbone pour aborder rapidement une courbe serrée. Malgré ses 2.495 kilos, la Speed conserve sa trajectoire. Merci à la transmission intégrale 60/40.
La sonorité, les freins, la boite de vitesses incitent au jeu, comme jamais dans une Bentley. Et le couple de ce moteur est addictif. Impossible de retenir mon pied droit !