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Un pas de deux avec une valseuse … athlétique

Porsche 911 2.0 R, blanche, action drt

Approcher de cette 911 sauce light offre un sentiment à priori déroutant. Alors qu’une 911 conventionnelle brille par la qualité de son assemblage et l’intégration du moindre détail, la 911 R se présente comme un brouillon de 911. Puis en l’examinant sous tous les angles, chacune de ces imperfections laisse transparaître son mobile et confère à chacun de ces défauts un charme désuet.

A l’extrémité de chacune de ses ailes, dans chaque recoin de son habitacle, des roues au toit et du coffre au moteur se dissimulent les détails, les artifices qui font de cette Porsche 911 R l’une des voitures les plus exclusives jamais produites. Scrutez bien les photos que nous vous proposons, placez-les aux côtés de la jolie 911 S qui vous trotte dans la tête et jouez au jeu des 7 erreurs ! Les fins limiers d’entre vous identifieront les minuscules clignoteurs avant, les grilles disparues, qui avec les écopes du spoiler avant, alimentent les freins en air frais. Les arches de roues ont été subtilement élargies pour offrir aux larges jantes Fuchs l’espace qu’elles méritent. Les vitres de custodes en plastique sont éventrées par des louvres qui assurent l’extraction de l’air moite de l’habitacle. Les mignons petits feux arrière, d’origine NSU, ont remplacé le large bandeau de la 911 du quidam. Ils coiffent un pare-choc intégralement redessiné et un échappement à double sortie.

Et puis détail parmi les détails, la subtilité incarnée : les défauts du polyester ! En 1967, cette technologie est encore balbutiante, et tous les panneaux de carrosserie arborent un étrange état de surface, à la fois ondulant et laissant apparaître la trame, la structure du polyester, comme si sous ce « Light Ivory » se cachait une très régulière peau d’orange.

Puis vient le moment de se glisser dans le siège baquet « Scheel » de l’habitacle de cette 911 R. Une constatation s’impose : tout ce qui n’était pas essentiel a littéralement été envoyé à la décharge. La 911 2.0 R est d’ailleurs la seule 911 dans l’histoire à avoir quitté Zuffenhausen avec seulement trois compteurs. S’ils avaient voulu la dépouiller plus encore, il aurait fallu se débarrasser du levier de vitesses ou peut-être du volant. Tout a disparu, de la radio aux panneaux de portes en passant par la boîte à gants et les lèvres-vitres, joliment remplacés par ailleurs par des lanières de cuir superbement patinées.

Vu la rareté de la bête nous avons préférer nous installer à la place du mort, à côté d’un pilote chevronné, habitué à faire voler l’engin. Il nous détaillera le temps de quelques tours sur un circuit tortueux, la manière dont la 911 R se manipule.

Confortablement installé dans mon baquet et surtout solidement harnaché, mon chauffeur d’un jour actionne le démarreur et, après quelques coups de pompe, sur l’accélérateur, un doux feulement se fait entendre en même temps que mon corps grésille de quelques vibrations. Une fois ganté et casqué, il écrase la pédale d’embrayage, enclenche le premier rapport, en bas à gauche de la grille de sélection de la boîte de vitesse et élance la Porsche pour quelques tours de mise en température.

Une fois les températures au beau fixe et les freins chauds, mon guide se décide à mettre la gomme. Les 210 chevaux du petit moteur 2.0 se déchainent progressivement avec une vigueur inédite compte tenu de la modeste cylindrée. Cette poussée franche et continue que mon pilote arrête autour de 8000 tr/min est assortie de vocalises aigües dès les bas régimes et prend une tonalité délicieusement métallique qui fait frissonner le chef d’orchestre pour moteurs que je suis.

Le génial flat six catapulte littéralement notre maigrelette 911 au bout de la ligne droite. Je vois le pied droit de mon pilote plonger sur la pédale du centre et se tordre vigoureusement vers l’accélérateur à chaque fois que son pied gauche entasse l’embrayage. Il résulte de ce pas de claquettes, le tonnerre du flat six scandé par le rétrogradage. Le freinage est puissant et rassurant, sans pour autant être brutal. Puis s’enchainent les virages. La Porsche se cabre puis pique du nez, s’appuie sur sa droite, puis sur sa gauche, plutôt volontaire du train arrière, elle nous gratifie de superbes et jolis déhanchés.

Dans cet habitacle surchauffé, secoué comme un prunier, entre un freinage et un travers, entre un bout de ligne droite et son virage, j’essaie de comprendre le mode d’emploi que me distille mon équilibriste de chauffeur. « Cette 911 R est un régal à conduire. Elle se pilote tout en finesse, en jouant sur le transfert de masse. A l’accélération, la direction se fait un peu légère mais offre malgré tout une grande précision. La commande de boîte n’est pas un modèle de guidage, mais les rapports rentrent bien. Et puis, c’est une valseuse ! Elle se conduit avec les fesses, l’accélérateur, les freins et on sent bien les pneus travailler. En la menant avec finesse, en jouant avec la puissance, avec le poids du moteur en porte à faux arrière, il est possible de tracer de superbes dérives, à la limite de la pirouette. »

Après avoir été abondement balloté, après avoir apprécié la vigueur et la voix du six cylindres à plat, après avoir valsé en douceur avec cette danseuse frêle mais musclée il était temps de rejoindre les stands. Laisser se reposer cette fringante vieille femme et accorder à cet oiseau rare, une large place dans ma mémoire.

Julien Libioul

V12 GT

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(Photos Raymond Huysmans)